A l’automne 2015, nous sommes partis dans les Vosges accompagner notre amie Elodie à Solbach. Elle enterrait Roger B. son père. De ce père, nous ne savions que peu de choses. Il était enté à l’hôpital de Strasbourg pour y subir des examens… Il n’en était jamais ressorti. Il avait 82 ans. Il n’avait pas élevé Elodie, mais ils se voyaient régulièrement depuis une vingtaine d’années. Peu à peu les liens s’étaient tissés.
Il vivait avec Anne, fille d’un affichiste français célèbre en son temps, Anne était atteinte de démence sénile depuis plusieurs années, elle était peintre et avait été une passionaria durant la guerre d’Algérie.
Ensemble, ils vivaient l’hiver à St Germain en Laye et l’été à Solbach.
Roger était des Vosges, enfant il avait été enrôlé dans les jeunesse Hitlériennes contre son gré. Les possibilités d’ascension sociales n’étaient pas nombreuses à cette époque et dans cette région… Plus tard, il avait intégré Saint-Cyr et se destinait à incarner l’élite militaire française. La guerre d’Algérie survient, il s’engage et part combattre le FLN. A la signature de l’indépendance, déçu par de Gaulle, se sentant lâché par le gouvernement, il entre en résistance et participe au « Putsch des généraux », vaine tentative de coup d’état militaire. Vient alors le déshonneur, la prison et la dépression. Sorti de prison, en disgrâce avec l’armée, il s’engage dans la Légion Étrangère, chez les parachutistes et se retrouve sur divers théâtres d’opérations militaires aux quatre coins du globe.
Ce jour-là, au temple protestant de Solbach, quelques camarades légionnaires sont présents. Survivants d’une époque révolue, en uniforme, ils portent sur leurs vieilles épaules le fragile cercueil de leur frère d’arme et entonnent solennellement le Chant du Diable, étrange et envoutant. Parmi les quelques personnes présentes, il y a cet homme, la soixantaine, qui ressemble curieusement au fils d’Élodie, c’est son frère. Élodie en connait depuis longtemps l’existence mais c’est là, devant le cercueil de leur père qu’elle fait sa connaissance. Quelques personnes du village sont venues rendre un dernier hommage à Roger, et puis il y a Aline et moi, pièces rapportées venues soutenir notre amie.
Attenante au temple, dans ce minuscule village d’un autre temps : la maison. Plantée au numéro 35 de la rue principale, au milieu d’un jardin négligé, une fontaine à ses pieds. La porte est ouverte, un chat se lèche les pattes sur le sol de la cuisine. Ici, le temps s’est arrêté : lit défaits, vaisselle dans l’évier, livres ouverts et correspondance inachevée, fleurs séchées. La maison nous parle. Nous poussons la porte, nous entrons et marchons dans les brumes du passé.
– Aline Diépois & Thomas Gizolme, janvier 2017