Entretien avec Caroline Bénichou

« Collectionner de la photographie, c’est avant tout une question de sensibilité : une affinité avec le travail de l’artiste, la conscience que certaines photographies ont besoin d’exister à petite échelle, tandis que d’autres prennent tout leur sens dans la monumentalité. »

Dans le chapitre I de l’exposition L’Épreuve du réel, vous avez fait le choix de présenter des formats très différents, d’Irène Jonas (18 x 24 cm) à Ouka Leele (1,20 m x 1m)…

Oui, c’était une volonté de notre part : nous voulions proposer des appréhensions formelles différentes aux visiteurs. La question du format de tirage est très importante. Le format contraint notamment à adapter la distance avec laquelle on regarde l’œuvre.
Un grand tirage éloigne et englobe à la fois, d’une certaine façon on est plongé dans l’image (c’est le cas avec les grands formats de Ouka Leele).

Au contraire, les petits formats contraignent à s’approcher pour bien observer l’image, pour “entrer” dans le détail de la photographie. Cela crée une intimité presque sensuelle : en quelque sorte, on touche avec les yeux.
Et puis, il y a autre chose qui se passe, c’est le temps du regard, de la réflexion, et du va et vient en soi, un grand format est plus immédiat qu’un petit dans son appréhension, le rapport physique est très différent.

Intéressons-nous aux petits formats. Est-ce que vous pouvez nous parler d’Øyvind Hjelmen et de Juanan Requena ?

Øyvind Hjelmen fait de très beaux petits tirages argentiques, des 12×12 cm, mais il peut également proposer des formats plus classiques.
Chez Juanan Requena, c’est autre chose. Il travaille toujours de très petits formats qui doivent tenir dans la poche. Je dirais même que ces derniers doivent tenir dans sa poche, car cela correspond à son procédé de travail.
Juanan Requena travaille en argentique et vire ses tirages au café. Il garde ensuite ses tirages dans la poche arrière de pantalon et les conserve plusieurs jours. En somme, il vit avec son tirage, il entretient un rapport physique à sa photographique. Quand le tirage s’est un peu altéré, usé et que Juanan estime qu’il lui convient ainsi, il le sort de sa poche… et me le confie.
Juanan est un véritable poète, on le dirait tout droit sorti d’un conte, hors de son époque. Je crois que ce procédé intime et introspectif correspond aussi bien au photographe qu’à l’homme qu’il est.

Et qui sont les collectionneurs de ces tout petits formats ?
Ceux qui vivent dans de toutes petites maisons… ! Plus sérieusement, il existe de nombreux collectionneurs qui ne recherchent pas forcément les grands formats. Beaucoup apprécient les petits tirages, leur dimension plus intime, presque confidentielle.
Les tirages de Juanan ont d’ailleurs quelque chose de précieux, non pas au sens “maniéré”, mais dans celui de l’objet délicat, soigneusement façonné. Il y a dans sa manière de travailler une dimension presque artisanale, une attention qui touche profondément les collectionneurs.
Ces petits formats deviennent alors des objets de contemplation, présentés dans des cadres qui évoquent le reliquaire : de petites pièces précieuses que l’on garde pour soi.

Et à l’inverse, dans quelles conditions va-t-on collectionner des grands formats ?
Même si certains achètent de grands formats pour décorer leur intérieur, je ne crois pas que ce soit la motivation première. Collectionner de la photographie, c’est avant tout une question de sensibilité : une affinité avec le travail de l’artiste, la conscience que certaines photographies ont besoin d’exister à petite échelle, tandis que d’autres prennent tout leur sens dans la monumentalité.
Cependant, la question de la place dont on dispose ne peut pas être évacuée. Disons qu’un grand tirage dans un appartement parisien de 60 m² devient tout de suite très présent… À un moment, on est obligé de se demander : “comment cette œuvre va-t-elle s’intégrer dans mon espace ?”.
Quant aux institutions et musées, leurs contraintes et leurs préoccupations sont très différentes. Ils disposent de réserves et d’espaces adaptés…

Question bête : et le prix, dans tout cela ? Les petits tirages sont-ils plus accessibles et inversement ?
Ce n’est pas parce qu’un tirage est petit qu’il est bon marché. Un petit format peut être extrêmement rare et onéreux : un tirage vintage, une photographie patrimoniale rare… Les montants d’acquisition peuvent être élevés. La valeur réside dans la rareté, la finesse et la charge historique ou émotionnelle de l’œuvre.
Il est vrai, cependant, qu’il existe une confusion. Je pourrais vous parler d’une photographe qui, à ses débuts, calculait ses prix en fonction du nombre de centimètres carrés de son tirage… Je ne le ferai pas !

Merci pour cet échange passionnant, Caroline Bénichou.

Les nouveaux horaires et jours d’ouverture de la galerie VU’
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