Entretien avec Caroline Bénichou

« Le blanc est plus que l’absence, il incarne souvent la lumière elle-même. »

J’aimerais que nous parlions de couleurs… et j’aimerais commencer notre échange en évoquant son absence. Que pouvez-vous me dire du blanc en photogaphie ?
Je vais vous contredire : le blanc existe bel et bien dans la photo couleur, je ne crois pas qu’il soit une absence de couleur. 

En photographie, qu’il soit le résultat de la prise de vue ou le choix d’un procédé de tirage, le blanc est plus que l’absence, il incarne souvent la lumière elle-même. Le blanc est un élément très puissant, il peut dévorer son sujet, il peut nous éblouir, nous aveugler… L’éblouissement est un sujet récurrent et protéiforme dans l’histoire de la photographie.

Je me souviens d’une année à Paris Photo (ndlr : 2014) où nous avions fait le choix d’un mur de photos très blanches, cet accrochage avait suscité beaucoup d’enthousiasme.

Et le blanc… et noir ?

Il y a eu en 2024 une très belle exposition à la Bibliothèque nationale de France qui s’intitulait Noir et Blanc, une esthétique de la photographie.

J’avais adoré un très beau dispositif scénographique et photographique mis en œuvre par les commissaires de l’exposition avec un nuancier de tirages, une ligne qui parcourait l’une des salles, allant du tirage le plus blanc au tirage le plus sombre, mettant en scène la dévoration du visible par l’excès de lumière ou par son absence.

Pourquoi les photographes aiment venir et revenir à ce procédé du noir et blanc ? À quoi leur sert-il ?

Le noir et blanc correspond bien sûr avant tout aux origines de la photographie. Il perdure parce que, entre autres, il permet au photographe de créer une forme de distance avec le réel. En d’autres termes, vous voyez quelque chose que vous reconnaissez, mais que vous ne voyez pas dans la réalité. Le noir et blanc induit une autre façon de regarder : il crée un décalage et gomme certaines informations du visible. La lumière, par exemple, est complètement différente lorsqu’elle est travaillée par le blanc et par la couleur. On interprète différemment les choses, cela change l’appréhension du réel comme de l’image. Sans compter que le noir et blanc, d’un point de vue purement formel, est souvent plus graphique.


© Sebastian Bruno

Et dans le cas de Sebastian Bruno, qui est un photographe représenté par la galerie ?

L’approche photographique de Sebastian est très contemporaine, par exemple par sa proximité et ses cadrages très frontaux et serrés pour les portraits. Dans le même temps, Il travaille à la chambre photographique, qui est un format ancien, lourd et statique, qui implique des temps longs et abolit toute possibilité d’ “image à la sauvette”.

Chez lui, le noir et blanc a une dimension contemplative : il apporte quelque chose d’irréel, un peu hors du temps, très intérieur,  alors même qu’il photographie des gens modestes et des quartiers populaires. L’utilisation du noir et blanc est ici une forme de tension paradoxale : tout en étant très crue, elle gomme les aspérités. 

À l’opposé, que dire alors de l’utilisation de la couleur voire de la colorisation… ? C’était le thème du premier chapitre de l’Épreuve du réel.

On peut préciser, d’abord, que la colorisation n’est pas la photographie couleur. Je dirais que la couleur en photographie a, a priori, quelque chose de plus séduisant que le noir et blanc. La photographie couleur a cela de difficile qu’il faut dépasser la séduction inhérente à la couleur. C’est très exigeant, et il y a bien sûr d’excellents coloristes.

Pour notre première exposition dans notre nouvel espace, avenue de Saxe, nous avons proposé des tirages photographiques colorisés. Le principe est simple : le ou la photographe applique une couleur qui n’existe pas sur l’image, qui n’a pas été captée à la prise de vue.

Chez Israël Arino et Clara Gassull, dans la série “Voyage en pays du Clermontois”, la colorisation est numérique, à partir des prises de vue noir et blanc réalisées à la chambre. L’usage d’une palette de seulement huit couleurs donne plus qu’une impression réaliste, il donne un sentiment de réel, avec un écart troublant avec le monde perceptible.

© Israel Arino & Clara Gassul / VU’

Chez Ouka Leele et Rima Samman, c’est, au contraire, une réappropriation des images, une forme de réinterprétation car, chez elles, la couleur ne fusionne pas, elle s’impose sur le noir et blanc. C’est une couche, une matière, qui se superpose à l’image. Ouka Leele met en scène le monde et incarne sa vision fantaisiste dans une Espagne en plein Movida… tandis que Rima Samman, réanime le souvenir de sa famille, comme une forme d’hommage et dans une autre série, elle mêle des images idylliques à des images de guerre du Liban.


© Ouka Leele / VU

Ce premier chapitre a éveillé une forte curiosité chez nos visiteurs. Je crois qu’ils ont été sensibles à ces photographies fusionnées avec des médiums familiers comme le dessin ou la peinture… tout ce qui implique un geste supplémentaire (qu’il soit numérique ou à la main). Les visiteurs sont beaucoup venus nous dire ce qu’ils ont préféré, ce à quoi ils ont été les plus sensibles, la technique qui les a le plus interrogés et ce que cela a éveillé en eux.



© Rima Samman

Merci pour cet échange passionnant, Caroline Bénichou.

Les nouveaux horaires et jours d’ouverture de la galerie VU’
au 60 avenue de Saxe, Paris 15ème : du jeudi au samedi, de 14h à 18h.