EARLY WORKS
Et un jour de juin 1977, comme dans un film, je rencontre Monique. Je roule en cyclomoteur quand je la vois, marchant sur le trottoir, je freine si brusquement que je dérape et lui fais soudain face, l’engin décrivant un cercle au sol. « Veux-tu faire des photographies avec moi ? » Elle a 17 ans, quelques mois de moins que moi. Nous ne nous quittons plus, ou le moins possible. I was born to be with you, you were born to be my bride. Nous sommes curieux de tout : cinéma, rock and roll, littérature, contre-culture, le troisième album du Velvet Underground est notre disque fétiche. Un temps pour la vie, un temps pour représenter la vie, pour construire le mythe ; un temps de prises de vues d’abord bref mais fréquent puis de plus en plus long quand le dessein se précise. Elle ne se prête pas au jeu de la pose de manière naïve puisqu’elle en comprend les enjeux et elle s’y abandonne totalement. Le décor est simplifié au maximum. Une séance est un univers à part, dans un lieu qui nous appartient, celui des Amants. Monique et moi n’aimons pas les filles des magazines, n’aimons pas les clichés, n’aimons pas la superficialité. Son exigence dépasse parfois la mienne, son regard aiguisé ne se laisse pas abuser par l’artifice. Elle n’intervient jamais dans la mise en scène de l’image, elle comprend intuitivement et se place naturellement, magie des corps en présence. Elle, moi, la photographie : Nous.
Yves Trémorin, in Monica, éditions Lamaindonne.
Sans titre (premier portrait de Monique) 1977.
Épreuve argentique vintage réalisée par l’auteur, format 18 x 24 cm.
Sans titre, années 1980.
Épreuve argentique vintage réalisée par l’auteur, format 24 x 18 cm.
Sans titre, 1984. Épreuve argentique vintage réalisée par l’auteur, format 24 x 18 cm.
Sans titre, 1981.
ERNESTINE, CETTE FEMME-Là, 1983-1984
Quand j’ai décidé de travailler en séries, j’ai trouvé avec elle [ma grand-mère] un sujet en décalage avec les tendances en vogue et un modèle patient qui me permettait un travail en profondeur sur la question du corps soumis au temps. Je voulais aussi lui rendre hommage, montrer la femme toujours coquette et faire sentir l’étendue et la richesse de son existence à travers les détails de sa peau et de ses objets intimes, mais sans gommer les rudes marques de l’âge. Mon propos était de magnifier la beauté de ce corps qui avait vécu et dont les images révélaient la grande sensualité. Je voulais faire de cette présence individuelle un archétype, passer de l’intime au générique. Elle se prêtait au jeu avec sérieux, me faisant totalement confiance, convaincue par ma détermination sans faille et ma rigueur froide quand je passais derrière le viseur. J’assumais la responsabilité de l’artiste envers son modèle et si, dans un deuxième temps, j’ai pu faire des images terribles dans sa chambre d’hôpital, jusqu’à son dernier souffle, c’est qu’elle posait consciemment et s’inquiétait encore de savoir si la séance de la veille avait été fructueuse. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être impudique, j’étais convaincu de la justesse de mon point de vue. Si l’accueil critique a été favorable, on ne compte pas, sur le livre « d’or » de la première exposition de ces images, les remarques indignées allant jusqu’aux injures à mon égard et aux propos insultants envers elle.
Tirages argentiques vintages réalisés par l’auteur. Format unique, environ 40 x 30 cm.
Monica, 1991
« Monica […] est le titre de la série d’images de Monique, prises sur les hauteurs de notre littoral familier en 1991. Je ne me suis jamais lassé d’enregistrer les effets de la lumière sur son visage depuis le premier jour. Cette fois encore, je ressens le besoin, l’urgence de faire une nouvelle série mais différemment, en reprenant des points de vue anciens avec la rigueur de travail acquise depuis. Je sors du studio, Monique est maquillée, je la veux illuminée par le soleil d’été dans des poses d’abandon. Les codes sont proches de la photographie de magazine, le défi étant de me les approprier. Le flash est toujours là mais utilisé d’une manière moins agressive, une façon de porter le visage loin de tout dans un univers idéalisé. Je pense à Monika de Bergman, le moment de liberté totale en bateau pendant l’été. Je pense aux photos des grandes actrices italiennes. Je change une syllabe pour nommer la série, Monique devenant Monica. Cet ensemble est une échappée des deux amants vers un monde où chaque instant est un éblouissement mais la matérialité du corps demeure et témoigne d’une présence bien réelle. J’ai souvent regardé le cinéma en photographe plus souvent attentif aux plans qu’à leur enchaînement et cela a contribué à mon apprentissage visuel, sans forcément que j’en sois conscient avant cette série. »
Yves Trémorin, in Monica, éditions Lamaindonne.
Tirages argentiques vintages sur papier baryté réalisés par l’auteur. Format unique – 60 x 50 cm.
VENTRES, 1993-1994
En décembre 1994 notre fils Ael vient au monde, il sera le modèle de la série Poupig que je lui consacre en 95, troisième volet de la trilogie couleur. En attendant sa venue au monde, je le scrute de l’extérieur en noir et blanc, gonflant le ventre de sa mère. Dans un noir et blanc, plus incertain, plus contrasté, pour des images de 1mx1m qui ne sont pas encore tirées au format. Ce ventre qui gonfle est rapproché de celui, que j’ai traversé, celui de ma mère. Le bébé venu au monde extérieur, lui sera photographié étreint par sa mère ou sa grand-mère, posé sur leur ventre. Exposer les Ventres à leur création était difficile quand je montrais mes premières images en couleurs. Il est un temps pour tout comme le dit Hélène en citant l’ecclésiaste dans le film à son élégie, l’ensemble de vintages de référence trouve naturellement sa place ici dans l’exposition Ernestine, Hélène et Monica.
Tirages argentiques, épreuves d’artiste vintages réalisées par l’auteur. Format 30 x 30 cm.
Hélène, 2015-2017
En 2015, ma mère Hélène fête ses 90 ans, l’âge auquel s’est éteinte sa mère Ernestine. La ressemblance de l’une à l’autre s’est accentuée avec le temps. Elle est plus âgée que sa mère quand j’ai commencé à photographier et moi j’ai 30 de plus que le jeune artiste des années 80. Au moment où je me retourne sur l’ensemble du travail effectué je décide de boucler mon œuvre dans le temps en reprenant le protocole de travail de mon premier ensemble rigoureusement construit dans une forme enrichie par mon expérience. Ma mère est apparue régulièrement au fil des séries mais comme modèle générique, jamais en tenant compte de sa personnalité, Je vais photographier la jeune fille qu’elle demeure en incorporant sa coquetterie, son amour des couleurs et des fleurs : la série s’appelle Hélène. Les images d’Hélène sont au mur en regard des photos de Cette femme là, ensemble rebaptisé Ernestine. Un même sujet à 30 ans d’intervalle à travers les différentes techniques d’un médium. Un hommage à la beauté de ces deux femmes, les traces de deux existences mouvementées sur leurs peaux fragiles.
Tirages pigmentaires aux encres Ultrachromes Epson sur papier Gloss Baryta, réalisés par Guillaume Geneste sous la supervision de l’auteur.
Format 80 x 60 cm, édition limitée de 5 exemplaire + 1 épreuve d’artiste.
Pour toute information complémentaire ou pour prendre rendez-vous :
Caroline Bénichou
benichou@abvent.fr
+33 (0)1 53 01 85 82
&
Adèle Trottin
trottin@abvent.fr
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